Plante fourragère de la famille du colza, le pastel demande une attention de tous les instants durant son cycle qui dure quinze mois. Il a besoin d’un sol riche car il l’épuise rapidement. Cette herbe commune a l’aspect d’une grosse laitue. Quand le pastel acquiert la couleur jaune un peu timide, on se rend compte qu’il est arrivé à maturité et prêt à libérer son pouvoir tinctorial. On ne cueille que les feuilles.
Les moulins à traction animale pour broyer les végétaux et les séchoirs à claies font leur apparition à Revel, à Castelnaudary, à Albi. Une lourde meule de pierre à roue dentelée écrase les feuilles en une bouillie compacte.
Façonnées à la main, les boules ont besoin de quatre mois de séchage pour avoir droit au nom de cocagne. Elles sont alignées sur clayettes dans des pièces ventilées. Au fil des jours, les boules sont tournées et leur couleur vire au noir.
Lors d’un second broyage, les cocagnes sont réduites en poudre, puis aspergées d’eau de rivière et d’urine humaine afin de provoquer une fermentation homogène. (Méthode ancestrale particulière à la teinture de la laine.) Ce travail à la campagne s’effectue sous des hangars de fortune, dans une odeur épouvantable. Remuée à la pelle, la pâte émet des bulles. « On dit que le pastel s’échauffe et fume », nous relatent Diderot et D’Alembert dans l’Encyclopédie.
L’écume à la surface des cuves se nomme la fleurée. C’est une sorte de crème qui a longtemps eu la réputation de rendre fou les peintres de la Renaissance. On dit même qu’au XIXe siècle, elle fit perdre la tête aux impressionnistes Paul Cézanne, Claude Monet ou l’anglais Turner. Sa couleur si particulière tient à l’oxydation des cuves de fermentation. C’est l’opération que les teinturiers redoutent. Ils mettent longtemps avant de trouver la couleur qui « mord » le tissu et se souvenir comment ils ont fait. Les hommes de la couleur appellent cela : le dévernissage.
La pâte qui sort des cuves est séchée et donne des granulats noirs : « agranats.»
C’est maintenant le pigment pastel que les teinturiers vont utiliser pour teindre.
Près de deux ans sont nécessaires pour obtenir le produit final. Celui-ci est alors conditionné en ballots numérotés et estampillés, prêts à être expédiés. Le cachet à la cire atteste la provenance et l’identité des marchands toulousains.
Au XVIe siècle, le pastel reste sans équivalent en Europe. Il est difficile à produire et très recherché. C’est un article de luxe que l’on pourrait aujourd’hui comparer à la « Fleur de caviar » de Pétrossian, à la truffe noire du Périgord ou au parfum Dior. Ce n’est pas un hasard s’il est appelé « or bleu.»