Le pastel est dirigé vers l’Espagne depuis Bordeaux par le port de Bayonne ou les paysans le conduisent en char à bœufs jusqu’à Montpellier à travers le Languedoc. Cela ne pose pas de problème de sécurité. Mais les pastelliers toulousains rêvent de conquérir les capitales du textile : Bruges, Anvers et les grandes foires du Nord de l’Europe, là où se teignent les brocarts de Venise brochés d’or et d’argent, les soies d’Orient, les dentelles de Flandre, les velours de Milan et les draps anglais.
Vouloir transporter un produit de luxe, facile à voler, en chars à bœufs à travers l’Europe s’avère périlleux. Les chemins sont infestés de « détrousseurs de plaine » et il n’y a pas de véritablement de routes entre Toulouse et la Champagne.
Les Toulousains se posent deux questions : Comment faire voyager le précieux pastel en toute sécurité et à qui le confier pour le transporter jusqu’à Bruges ?
Ils décident de gagner Bordeaux et ouvrent des comptoirs au port de la Lune où accostent les navires qui chargent le vin pour les Anglais. Les Bretons de Penmarc’h font du cabotage le long de la Manche. Ils arrivent à les convaincre de charger des barils de pastel avec les fûts de bordeaux et de les mener jusqu’en Flandre.

 

Il y a suffisamment de gabarres qui descendent le fleuve de Toulouse à Bordeaux. En revanche, le voyage vers Bruges pose plus de problèmes. Ils proposent aux marins de voyager sur leurs navires. Ainsi, ils pourraient surveiller le chargement.
Les Toulousains arrivent à leurs fins. Ils annoncent la création d’une route maritime de l’or bleu » aux teinturiers des Flandres. La filière du pastel s’organise.
Ils avancent les fonds aux paysans pour défricher, subventionnent les récoltes, imposent l’assolement et la rotation des cultures pour éviter l’épuisement des sols, créent les moulins pastelliers au plus près des champs, organisent chaque été la Foire du pastel afin de motiver la population. Les pastelliers toulousains, passés maîtres dans l’art de faire des affaires, font sillonner le pays par des collecteurs reconnaissables à la couleur bleue de leurs charrettes.

Les marchands comptent parmi les plus grosses fortunes de la ville. Ils réussissent à faire de Toulouse la capitale du pastel et une place financière où tout se négocie : les lettres de change, les prêts et les avances sur vente.
Jean de Bernuy, l’un des négociants les plus en vue. La fortune qu’il amasse lui permet d’édifier un somptueux palais dans le centre de Toulouse et de se porter caution de la rançon exigée par Charles Quint pour la libération du roi François 1er tombés aux mains des Espagnols à la bataille de Pavie.
Nulle part ailleurs, en France comme en Europe, on ne recense autant d’hôtels particuliers que sur les bords de la Garonne. Pierre d’Assézat édifie la plus somptueuse résidence que la ville de Toulouse puisse rêver, symbolisant ainsi la réussite insolente des « princes du pastel. » Toulouse se mue en une « cité bleue » avant de devenir « la Ville rose » que l’on connaît aujourd’hui.